Fables et affabulations

C’est l’histoire d’un berger, Gygès, qui trouve un anneau magique au doigt d’un squelette de géant dans le ventre d’un cheval d’airain. Il n’a apparemment pas de tabou sur le pillage de cadavre, alors il passe l’anneau à son doigt ; nous devons croire que ses doigts sont aussi larges que ceux du géant. Plus tard, il se rend compte que lorsqu’il tourne l’anneau vers l’intérieur de sa main, il devient invisible. Alors, il se demande quoi faire de ce super-pouvoir, et il se dit « tient, si j’allais emballer la femme du roi ?»  ; on ne sait pas très bien comment un pauvre berger puant, même invisible, peut séduire la reine, mais en tout cas, il y arrive. Ensuite, nos deux tourtereaux complotent à assassiner le mari gênant, ça coule de source. Et comme en ce temps là le régicide conduit au trône plutôt qu’en prison, le berger devient roi, mais l’histoire ne dit pas combien ils ont eu d’enfants.

C’est cette fable de Platon qu’à invoqué le nouveau ministre de la culture et de la censure de l’Internet pour défendre HADOPI 2. Vraisemblablement, il ne connait pas mieux l’informatique et Internet que son prédécésseur, mais ses envolées sont plus lyriques et accentuent encore l’absurdité de l’histoire, on ne peut que s’en réjouir. Et donc, selon lui, Platon, Beaumarchais et Maupassant soutiennent la riposte graduée, contre ces insignifiances que peuvent être le droit européen, la constitution française, les droits de l’Homme ou la réalité, tellement surfaite en milieu politique.

Quel est le rapport entre l’anneau de Gygès et la riposte graduée ? C’est assez flou, mais peu importe : l’intérêt et la force d’un argument d’autorité n’est pas d’être cohérent, mais de citer un nom prestigieux. D’après le ministre : « La moralité de cette fable de Platon, c’est que la plupart des hommes ne sont justes que parce qu’ils sont visibles.» Je suppose qu’il faut donc croire que les internautes sont invisibles et donc injustes ? Enfin, Platon, c’est vieux : s’il vivait aujourd’hui, il verrait bien que les hommes les plus injustes sont aussi souvent les plus visibles. D’ailleurs, le ministre sait sans doute parfaitement que les lois ne s’appliquent que rarement à ceux qui les font.

Personnellement, ma connaissance de l’œuvre de Platon commence et s’arrète au mythe de l’Atlantide. Néanmoins, je connais d’autres histoires au sujet d’un anneau d’invisibilité où les héros restent aussi honnêtes et droits que possible malgré les tentations de l’objet maléfique. Je suppose que cela veut dire que Tolkien est contre la riposte graduée.

Pour conclure cet article sans queue ni tête, je vais m’essayer à la fable, moi aussi.

C’est l’histoire d’un jeune dresseur d’oiseaux nommé Avès. Il apprend à quelques oiseaux exotiques à siffler de jolis airs pour le roi, son patron. A l’occasion, il flirte un peu avec la princesse. Mais il ne se fait pas d’illusions : dès que le roi lui aura trouvé un bon parti, il ne la reverra plus.

Un jour, dans un œuf fraichement éclo, il trouve une plume d’or. Elle est si belle, si brillante, qu’il décide de l’offrir à la princesse pour lui témoigner son affection. Et de ce jour, la princesse tombe éperduement amoureuse de lui. A vrai dire, elle n’est amoureuse que lorsqu’elle porte la plume dans ses cheveux, mais la plume est si belle qu’elle ne peut s’empêcher de la porter chaque jour, et jamais elle ne se rend compte de son pouvoir magique obsédant.

La semaine suivante, le roi lui présente un prétendant. Il est très riche, et le royaume aurait bien besoin de son aide financière, ruiné qu’il se trouve par les obsession royales ridicules comme cette voilière exotique. Mais la princesse ne veut rien entendre, et elle s’enfuis avec son oiselier. Avès est pour le moins dépassé : il n’avait jamais prévu d’aller contre la volonté de son roi et même s’il s’entend plutôt bien avec les gardes, il a peur de leurs flèches et de leurs lances pointues. Il essaie de raisonner la princesse et se demande ce qu’ils vont devenir.

Leur escapade ne dure pas longtemps. Le roi a bel et bien envoyé ses gardes à leur poursuite. Ils tuent Avès. De chagrin, la princesse se tue à son tour en se plantant la plume magique dans la gorge. Le roi en est effondré : s’il ne peut plus vendre sa fille, comment sauver le royaume ? Et, de fait, le royaume s’effondre. Le prétendant revient avec une armée pour le conquérir avec le soutient de la population affamée, à qui il offre les oiseaux de la volière royal à manger, puis il épouse une jeune servante de la princesse à qui il avait déjà commencé à faire du gringue lors de sa précédente visite. Son règne fut long et fastueux, comme le célèbrent les livres d’histoire qu’il fit imprimer.

Moralité  : si la musique ne te nourris pas, mange le musicien.

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